Rencontré le 27/06/2022

Vincent Froment habite dans le Trièves depuis sa naissance. Il a 45 ans et vit à Cornillon-en-Trièves. Il a d’abord travaillé dans les travaux publics et depuis 15 ans il est au service des eaux de la mairie Mens.


Ses Missions

« Sur Mens, il y a 3 sources : la source des Brachons, en commun avec Saint-Baudille-et-Pipet, la source du Verdier et celle de Baret au niveau du Châtel. Il y a 5 réservoirs plus un réservoir commun avec Saint-Baudille-et-Pipet. Ils sont organisés en cascades : le trop-plein d’un réservoir donne sur un autre pour qu’un seul surverse au ruisseau. Les sources sont toutes situées au-dessus du village, tout est gravitaire. On n’a pas besoin de pomper l’eau. Je suis en charge de la surveillance des réseaux, ce qui comprend la production, la qualité, l’entretien du réseau et la programmation du renouvellement du réseau. J’oriente aussi les élus sur les portions du réseau où il est le plus urgent de réparer ou de renouveler. Je m’occupe également du réseau d’assainissement et de la gestion de la station d’épuration. Enfin, j’aide mes collègues pour le déneigement lorsqu’ils en ont besoin.

Un réservoir d’eau sert simplement de tampon au cas où la consommation est supérieure au débit de la source. La nuit il se re-remplit. On ne peut pas stocker de l’eau plus de 3 jours. S’il y a un problème avec une source, si elle s’arrête où s’il y a un éboulement, on peut tenir une journée/une journée et demi maximum avec l’eau stockée dans l’ensemble des réservoirs. Le tuyau pour la consommation pompe aux deux tiers du réservoir. L’autre partie est fermée et réservée en cas d’incendie et dans ce cas-là, on est appelés à ouvrir des vannes qui pompent alors le fond du réservoir. 

Par endroits, en faisant les chantiers, on retrouve un vieux canal en béton qui parcourait les rues de Mens et aussi parfois des conduites en poterie. Le réseau d’eau potable date de 1932 à 1936. Avant, je pense que les sources devaient être canalisées pour alimenter des bassins et les gens devaient aller chercher de l’eau là-bas. J’imagine que c’était les fossés qui alimentaient le village. Les gens consommaient aussi beaucoup moins d’eau que nous aujourd’hui. 

La réparation des fuites représente une grosse partie de mon travail. Ce sont plutôt de petites fuites. J’ai remarqué que certaines fuites alimentaient un bassin. C’était une sorte de bassin témoin. Quand je réparais une fuite, j’allais prendre le débit en photo avant et quand je revenais, il ne coulait plus ou très peu. On a fait pas mal de travaux sur le réseau et il n’y a plus d’eau dans ce bassin maintenant. Il y avait aussi peut-être une source au niveau du bassin mais qui devait être renforcée par les fuites d’eau. Au fil du temps, la source s’est sûrement un peu perdue comme toutes les autres à cause de la sécheresse. »

« On avait fait un schéma directeur à l’échelle du Trièves. Il y a eu une vraie concertation : des rencontres avec les agriculteurs, commune par commune, pour concilier leurs besoins et les besoins de construction : On leur demandait « quels terrains sont vraiment nécessaires à votre exploitation et lesquels pourriez-vous céder ? ». L’Agenda 21 a aussi été fait en concertation. J’ai été élue pour diriger ce syndicat. Dans une concertation, l’important c’est que la « règle du jeu » soit définie. Je me suis engagée à présenter toutes les actions aux élus. C’était ensuite à eux de décider s’ils prenaient ou pas et j’allais expliquer aux gens pourquoi si cela avait été refusé. Les choses étaient claires. C’est pourquoi cet Agenda 21 s’est plutôt bien passé, même à la sortie. De souvenir, seulement une action n’est pas passée, un projet de monnaie locale. C’est dommage. »

La sécheresse

« La sécheresse c’est assez aléatoire. Cette année est une année très sèche au niveau pluviométrie mais j’ai déjà eu des années où les sources étaient beaucoup plus basses en début de saison [après la fonte des neiges]. A Mens, nos sources sont vraiment impactées par la quantité de neige sur les montagnes. Cette année, en début de saison elles étaient plus hautes qu’il y a deux ou trois ans. Les sources mettent vraiment longtemps à monter quand la neige fond. L’eau met du temps à traverser toutes les couches de calcaire et doit sûrement prendre sa source assez haut en altitude. Une fois par semaine, je vérifie le débit de chaque source ainsi que le débit à la sortie du réservoir, c’est-à-dire la demande du réseau. En ce moment [fin-juin], le débit constant de la source équivaut au double de mon débit maximal prélevé pour la consommation. Il y a 420L/min qui partent vers Mens et 800L/min qui arrivent dans le réservoir. D’après ce que j’ai vu, je suis plutôt serein pour les deux mois à venir mais pour la fin de l’année cela risque d’être une autre histoire. Il y a des années où j’ai eu des débits, sur ma source du Verdier, que je n’ai jamais retrouvé : 1800L/min. Maintenant le grand maximum c’est 1400-1500L/min et en moyenne c’est 800L/min. 

Je me fais plus de soucis pour les ruisseaux que pour les sources. Cette année le niveau de l’Ebron est très bas. Chaque source ne réagit pas de la même façon à la sécheresse : certaines baissent très vite alors que la source de Saint-Baudille-et-Pipet n’a pas baissé du tout, au contraire elle donne beaucoup. Pour l’instant, on ne manque pas vraiment d’eau. Nos soucis concernent plutôt la réparation des fuites et la consommation des habitants. Il faut consommer juste ce dont on a besoin. Avant que je travaille pour la commune, il y a déjà eu des coupures d’eau mais il y avait beaucoup de fuites. Si on ne fait rien sur le réseau d’eau et si on ne répare pas les fuites, on va venir à manquer d’eau. 

En période de sécheresse, entre le captage et le village, il y a toute une partie du ruisseau qui est privée d’eau et qui meurt. La fermeture des fontaines permet de ne pas priver la nature d’une eau qui n’aura servi à rien. Si on ne le fait pas, on voit des truites qui sont sur le dos parce qu’il n’y a plus assez d’eau. Ça ne fait pas tout mais c’est une partie des gestes à appliquer. Une autre partie consiste à informer : à afficher l’arrêté et à mettre des messages sur le panneau lumineux. Si je vois des gens en train de laver leur voiture j’essaie de les sensibiliser en leur disant rappelant qu’on est en sécheresse. J’ai aussi mis des électrovannes pour éviter de tirer de l’eau la nuit quand cela ne sert à rien. Ça représente environ 2500m3 par fontaine par an mais c’est variable selon les bassins. 

Cette année le Trièves est particulièrement sec. Il pleut davantage autour mais pas dans le Trièves ni la Matheysine. A Pellafol, c’est déjà beaucoup plus vert. J’ai récupéré des relevés pluviométriques de 1900 à Saint-Baudille-et-Pipet et je les ai comparés avec ceux d’aujourd’hui. En moyenne, sur l’année la quantité de pluie est la même, autour de 800mm par an, mais aujourd’hui, ce n’est plus reparti pareil. C’est moins régulier. L’eau tombe lors de gros orages et ces pluies ne servent pas à grand-chose. Elles partent directement dans l’Ebron parce que tout est sec. Comme il y a moins de neige, la quantité d’eau totale a diminué.

On est bouclé avec les communes de Saint-Jean-d’Hérans et Cornillon-en-Trièves. On est donc capables de leur renvoyer de l’eau. Il faudrait essayer de boucler chaque commune au maximum pour qu’en cas de problème ou de sécheresse, la commune qui est en surplus puisse renvoyer de l’eau à la commune voisine en manque. »

Consommation d'eau et bonnes pratiques

« La consommation d’eau moyenne à Mens est similaire à la moyenne nationale : environ 120m3 pour un foyer de 4 personnes par an. Il y a plein d’astuces pour éviter de consommer trop d’eau. J’essaie de sensibiliser mes enfants à ce sujet. Pour les toilettes, on peut mettre une brique dans la chasse d’eau. Le matin, c’est le dernier qui passe aux toilettes qui tire la chasse. On peut aussi utiliser un double réseau avec de l’eau de pluie pour les toilettes par exemple. Ça permet d’éviter de gaspiller de l’eau potable.  A Mens, l’eau vient uniquement des sources. Si on voulait faire un autre réseau avec de l’eau non traitée, il faudrait un nouveau réservoir et beaucoup de travaux. Ce ne serait pas plus écologique au final car on devrait creuser et brûler du fuel. »

« Pour la commune, je fais un gros tas de compost avec tous les roseaux de la station d’épuration, les feuilles qu’on aspire dans le village et le gazon du terrain de foot que je brasse avec le tractopelle. On s’en sert pour les plantations de la commune. On en donne aussi aux gens qui en veulent. »

« Une machine à laver pleine utilise environ 50L d’eau, un lavage automatique pour la voiture environ 20L. Pour la piscine municipale cela représente 20m3 par jour et 1000m3 pour le remplissage. Une piscine particulière c’est 25m3 d’eau. »

Les orages

« Les gros orages n’apportent rien aux sources. Au contraire, sur celle de Saint-Baudille-et-Pipet qui est une source de surface ils nous amène de la turbidité. Ça salit plutôt la source. On a des filtres à 30 microns que je change 3 fois par semaine et des lampes UV pour le traitement. Des fois, avec les gros orages, ils se bouchent et ne filtrent plus assez et ça arrive jusqu’à la distribution d’eau. Ce n’est que de la terre. Les anciens sont plus habitués que les nouveaux habitants. En 2018, on imagine qu’il y a eu un éboulement dans le captage sous la montagne suite à un très gros orage. Je devais changer les filtres 2 fois par jour, 7 jours sur 7 pendant 2 mois et maintenant l’eau est plus turbide qu’avant. C’est depuis ce moment-là que je change les filtres 3 fois par semaine. C’est une zone de l’Obiou à laquelle on accède par des sentiers, vraiment contre la montagne, et qui est donc sujette à des orages. »

Observations en tant qu'habitant du Trièves

« Quand j’étais gamin, dans les années 1980, pour aller à l’école on devait pousser le car pour qu’il démarre dans la neige. A un endroit, il n’y avait plus qu’une seule voie à cause des congères. C’était en circulation alternée. Les routes étaient enneigées tout l’hiver. On ne mettait pas de sel, c’était de la pouzzolane. Il y avait au moins trois mois de neige. Il faisait froid. Il y avait des hivers où pendant 15 jours il faisait -15°C. Quand je travaillais dans les travaux publics, on avait eu une semaine de -17°C à Cornillon. C’est arrivé même après les années 2000. Pour la neige, c’est à partir des années 1990 que ça a commencé à changer. Maintenant on a des fois -11°C dans la nuit. Il n’y a plus de froid. »

« J’ai l’impression qu’il y a beaucoup plus de vent qu’avant. Il assèche la végétation. Il fait plus chaud et plus tôt dans l’année. En hiver, il fait plus doux mais on peut chauffer d’octobre à juin. Le temps est bizarre : on a plus de vrai printemps. Cette année, en mai-juin, on était comme en plein mois d’août. L’année dernière il n’y a pas vraiment eu de gros été. »

« Je trouve aussi qu’il y a moins d’hirondelles. Il y a moins d’insectes dans les villages. C’est aussi peut-être parce qu’il y a moins de fermes dans les villages. » 
« J’ai observé un abaissement des terres argileuses d’environ 6-7cm. Elles dégonflent. » 

Ressentis par rapport au changement climatique

 Je suis fils de paysan. Je ne mets jamais de produits phytos mais du fumier dans mon jardin. Je fais attention à ce que j’achète. Je prends aux petits producteurs ou des produits français en grande surfaces. Je n’achète pas ma viande au supermarché mais à un petit boucher. Je ne mange pas des fraises quand ce n’est pas la période des fraises. Je trouve ça aberrant de vouloir manger tout n’importe quand. Je suis conscient des choses, je fais des efforts mais je ne suis pas parfait. Je ne suis pas un super bon trieur. Pour faire plus d’efforts j’aurais besoin de plus de temps et sûrement aussi de plus d’argent. Je pourrais prendre plus de temps pour mon jardin pour moins acheter en magasin. Cuisiner ça prend du temps. 

« Le changement climatique ça me fait un peu peur et je me demande comment ça va se passer à l’avenir. On nous parle de l’arrêt de la voiture thermique mais comment va-t-on faire sans voiture thermique ? Qui sait vraiment ce qui se passe et comment ce sera dans 20 ans ? Quelles sont les solutions ? Par exemple, comment va-t-on remplacer les camions ? On en a besoin pour les chantiers. Je ne pense pas que c’est un camion électrique qui va charrier 50 tonnes. Aujourd’hui les tracteurs dans les fermes font 200 chevaux. Est-ce qu’il existera des tracteurs électriques capables de remplacer 200 chevaux ? On nous parle aussi de circuit court mais on doit aller chercher du fromage de chèvre chez un producteur puis faire 10 kilomètres pour aller chercher une salade chez un autre… Je me demande pourquoi on n’a jamais réussi à créer une petite superette des producteurs locaux du Trièves. »

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