Rencontré le 12/07/2022

Vigneron originaire du Trièves, Samuel Delus est passé par Paris puis est revenu en 2004 à Prébois. Il a commencé à replanter les vignes à partir de 2012 et à vendre son vin en 2015.

Les vendanges

« Je n’ai pas énormément avancé ma période de vendanges mais cette année on aura une quinzaine de jours d’avance voire trois semaines. On ramassera mi-septembre au lieu de fin septembre - début octobre. En 2018 on a aussi eu ça. Dès le mois de juin il a fait chaud. Cette année, c’était dès le mois de mai. En 2018, on est arrivés sur des maturités très élevées au moment de la vendange. On s’est fait avoir parce qu’on ne s’y attendait pas. Ça a produit des vins à 14 degrés, c’était un peu trop. C’est la quantité de sucre qui fait qu’il y a plus d’alcool. Globalement je suis autour de 12-12,5 degrés, un peu plus haut sur le Pinot gris. Avec la chaleur, le taux de sucre augmente. Les agriculteurs moissonnent plus tôt maintenant. Pour le raisin, je pense que c’est différent. On pourrait peut-être commencer un peu plus tôt mais je cherche à vendanger des raisins d’une maturité optimale, notamment pour les rouges, et en montagne, les vignes sont toujours un peu plus longues à venir et ne sont pas au rendez-vous chaque année, alors je préfère souvent retarder autant que possible la récolte. Ici mes vignes attaquent 700 mètres d’altitude. Sur 10 ans, depuis que j’ai commencé les vignes ici, je ne remarque pas de décalage. Mais si on regarde sur 50 ans, mes grands-parents et d’autres anciens avaient des vignes et faisaient leurs vendanges en novembre, des fois sous la neige et les raisins étaient encore verts. Il y a clairement une différence. Aujourd’hui, mi-octobre, les précoces sont très mûrs et on a tout ramassé. On ne vendange pas sous la neige. » 

Chaleur et sécheresse

« On est sur une année marquée par le changement climatique. C’est historique. On ne sait pas trop où on va. Il faut de l’eau pour que le raisin murisse et pas trop de chaleur. Pour une photosynthèse optimale, il faut qu’il fasse 25°C. Il n’y a pas une trace de maladie cette année. J’ai traité seulement trois fois sur feuillage. Ça fait trois semaines que je n’ai pas traité et je n’ai pas une trace d’oïdium ou de mildiou. Je pense que l’oïdium n’a pas pu s’installer au départ parce qu’il a fait chaud dès le mois de mai. L’année passée ce n’était pas pareil. Je n’ai jamais vécu une saison aussi sèche. Je pourrais en parler mieux dans un an car je ne sais pas encore ce que cela va donner. Il y a eu un coup de chaud sur la fleur pour certaines vignes qui étaient à un stage de floraison fragile et il y a donc eu beaucoup de coulures. Il y a des fleurs qui ont avorté. C’est typique de cette année. Est-ce que ce sera le problème récurrent à terme ? Du coup, sur les grappes des douces noires et des chardonnays, il n’y a pas grand-chose. Il y a des différences selon les variétés. J’ai l’impression que les mieux adaptés ce sont les pinots noirs et gris. Ils débourrent tard donc ne gèlent pas au printemps et murissent tôt donc on peut les ramasser avant que ça ne gèle en automne. »

« Globalement, mes vielles vignes sont belles. Je croise les doigts pour qu’elles soient suffisamment implantées pour que cela tienne si on a encore deux mois sans eau. J’ai l’impression qu’elles ne souffrent pas trop de la chaleur même si on voit quelques marques de grillure sur le raisin et qu’elles ne sont pas aussi développées que d’habitude. Il faudrait que les grains grossissent et se resserrent. Quand il fait trop chaud, la vigne se met en stress hydrique et c’est comme quand il fait trop froid : ça s’arrête de mûrir. Pour celles que j’ai planté récemment c’est plus compliqué. On voit les traces des coups de chaud. C’est trop chaud, trop tôt. Mes jeunes vignes ont séché en haut, au niveau de l’apex [la pointe terminale], donc elles ne vont plus monter mais quelques pieds repartent par le bas. C’est l’espoir que j’ai pour éviter de tout replanter l’année prochaine. L’année passée j’avais déjà replanté tout ce qui était mort. J’ai mis des tubes pour les protéger des lièvres mais ça fait comme une micro serre et ce n’est pas adapté à de grosses chaleurs. »

« Quand j’ai eu l’idée de m’installer là, il y avait déjà des tendances à la sécheresse et des températures trop élevées sur des Côtes du Rhône et sur la Côte d’Azur. Dans le Sud, les vins sont tous à 14,5-15 degrés. L’avenir de la vigne c’est clairement à la montagne. Ils essaient de remonter les vignes en hauteur tant qu’ils peuvent et d’implanter de nouveaux cépages plus tardifs pour ne pas qu’ils mûrissent trop vite et que cela fasse des vins trop élevés. »

« C’est vrai qu’il y a quelques années on ne passait pas une soirée d’été en T-shirt dehors et aujourd’hui on peut complétement. On ressent qu’il y a une tendance au réchauffement. »

La ressource en eau

« Depuis 15 jours sur Prébois, il y a un peu plus de monde avec une colonie de vacances et on sait que le trop-plein du réservoir d’eau potable ne coule plus. On a des sources qui tarissent et là c’est tôt. D’habitude c’est plutôt en octobre. C’est pour ça que la commune avait évoqué le blocage des permis de construire parce que si on est plus nombreux ça va devenir encore plus compliqué… Comme il neige moins, ça ne ramène pas d’eau non plus. Je n’arrose presque jamais normalement, seulement un peu au moment de la plantation en avril. En général, on ne manque jamais d’eau mais cette année les jeunes vignes souffrent. J’ai déjà mis 6000L d’eau la semaine dernière dans la côte où il y a les jeunes vignes. On voit quelques feuilles vertes. C’est grâce à l’arrosage. Ça va en aider quelques-unes. C’est long d’arroser parce qu’il faut compter jusqu’à 30 secondes par pied. Il faut environs 3 heures pour vider la tonne à eau. J’aurais dû arroser les jeunes vignes plus tôt. Il y en a plein qui ne repartiront pas. J’ai des collègues vers Voreppe qui ont eu 120mm donc beaucoup d’eau et nous à Prébois on en a eu 30 en tout : 6, 20 et 4mm. C’est rien et on est partis sur des semaines de chaud et sec. Il parait que la Vanne ne coule quasiment plus et l’Ebron pas beaucoup… »

Le gel

« Le gel tardif ça peut affecter les vignes mais ça touche presque plus ceux qui sont dans les plaines que nous parce qu’ils ont très chaud, très tôt. Nous on craint plus sur la fin des gels tardifs, sur les Saints de Glace, de fin avril à mi- mai, parce que c’est là que la vigne a commencé à partir et qu’on risque d’avoir des températures négatives. Chaque année j’essaie de surveiller ce moment-là, de faire du feu si besoin. Cette année je n’en ai pas fait, on n’a pas gelé du tout. En 2020, en plaine, certains collègues sur des côteaux plus bas ont perdu 90% de la récolte. On est presque plus à l’abris du fait d’être en montagne parce que ça débourre plus tard. Début avril on est totalement à l’abris parce que ce n’est pas sorti. -2,5°C ça va mais à partir de -3° ça devient compliqué. En 2017 j’ai les viogniers [cépage] qui ont un peu ramassé. »

L’enneigement

« Il y a des années comme l’année dernière [2021], où l’été était froid et humide. On voit peut-être plus la différence sur la quantité de neige. La neige dure de moins en moins longtemps. Elle tombe et elle fond vite. J’avais des photos de mon ex chien au moment où je m’installais dans les vignes, en 2010. On avait 50cm de neige et je crois qu’on n’en a pas souvent revu autant. Quand je palissais les douces noires, je me souviens, qu’on plantait les piquets en hiver dans une bonne quantité de neige et depuis on n’en a pas eu beaucoup. »

La grêle

« Avec le changement climatique, il y a aussi une tendance aux événements extrêmes comme la grêle. J’en ai eu en 2018 et heureusement ça n’a duré qu’une minute. Ça c’est problématique. »

Les nuisibles et les maladies

« Les maladies sur les vignes ce sont surtout les champignons : le mildiou, l’oïdium, le blackrot… J’ai l’impression que cette année ça se gère naturellement avec la chaleur. Tant mieux parce que traiter c’est un problème. Je n’ai pas trop de nuisibles à part les blaireaux, les sangliers et les lièvres. Cette année, je n’ai pas vu trop de sangliers. Comme il fait chaud, ils se tiennent peut-être un peu en altitude. Sinon, on est obligé de tout parquer. Les blaireaux c’est une plaie pour les vignes. Je mets aussi un effaroucheur pour les oiseaux. »

« Mes vignes ont mis longtemps à rentrer en production parce que je suis en altitude et sur un sol très sec qui draine beaucoup l’eau. Mais une fois que c’est installé, ça produit bien. Aujourd’hui je continue d’augmenter malgré les pertes de l’année dernière par exemple même si pour l’instant c’est encore un peu limite. Je vends plutôt localement, jusqu’à Lyon, et j’ai un caviste qui me prends du vin sur Paris mais surtout des restaurants du Trièves, de Grenoble. En 2021, je suis environ à 6000L donc c’est à peu près 8000 bouteilles. Ce n’est pas énorme mais c’est pas mal. J’ai 2 hectares et demi en tout. »

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