Dans le cadre de l’élaboration de la stratégie de transition écologique du Trièves (en cours), la Communauté de communes du Trièves et les associations « Névé » et « CERES », proposent un Observatoire du changement climatique en Trièves. Alors que de nombreuses informations sur le changement climatique existent au niveau national et international, l’objectif de cet observatoire est prendre la mesure des évolutions qui sont déjà à l’œuvre en Trièves, ainsi que leurs conséquences sur notre quotidien, afin de mieux anticiper l'avenir. Pour cela, nous avons recherché et analysé les données scientifiques existantes qui concernent le climat de notre territoire et recueilli les observations et la parole Trièvoise d’une vingtaine de personnes de tous âges. Cet observatoire rassemble aussi des témoignages de pratiques d’adaptation et d’atténuation déjà mises en place. Il a vocation à s’enrichir avec le temps en intégrant de nouvelles données et de nouveaux témoignages.

Sources : 

Cette partie de l’observatoire est un recueil de témoignages Trièvois qui décrivent les évolutions du climat dans notre territoire, les changements de pratiques qu’elles entrainent, les inquiétudes et parfois des pratiques d'adaptations ou d'atténuation qui sont déjà mises en œuvre. Ces témoignages ont été recueillis de la mi-juin à la mi-août 2022 par Salomé Faure, stagiaire en charge de la création de l’observatoire. Nous avons souhaité représenter un maximum de secteurs d’activité pouvant être affectés par les bouleversements climatiques mais il en manque évidemment. Ils seront complétés dans les mois à venir. Si vous désirez apporter votre témoignage vous pouvez contacter : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.. 

Les retranscriptions des entretiens ont été validées par les personnes interviewées et ont été faites à partir de conversations orales et c’est pourquoi certaines formulations sont issues du langage parlé. Vous trouverez ci-dessus les témoignages sous forme d’extraits par thématiques. Si vous souhaitez lire davantage d'extraits, cliquez sur « lire l’entretien ».

Rencontré le 30/06/2022

Sylvain Vizzutti est administrateur à la fédération départementale des chasseurs en charge du secteur Trièves-pays de la Gresse et président de l’association des chasseurs de Saint-Baudille-et-Pipet. Il est originaire du Trièves mais l’a quitté plusieurs années pour se rendre plus facilement au travail. Aujourd’hui, il est retourné vivre dans son village de cœur : Saint-Baudille-et-Pipet. 

Les espèces animales

« Au niveau de la chasse, il y a des évolutions liées au changement climatique dont on est sûrs. On s’aperçoit que les hivers sont plus doux et que les pertes hivernales sur certains gibiers qui sont habituellement touchés par la rigueur de l’hiver sont moins importantes. C’est le cas notamment du sanglier. On sait que la température est un élément essentiel à la survie du marcassin dans les premiers jours et les premières semaines de vie. Pendant très longtemps, ça a été un élément de sélection naturelle qui a limité le nombre de marcassins dans une portée. Quand cet élément disparaît, les portées sont plus prolifiques et on se retrouve avec beaucoup plus d’animaux sur le territoire. A partir du moment où ils grossissent, on ne peut plus les arrêter. Ils ont tout ce qu’il faut : le gîte, le couvert. C’est un des éléments les plus visibles directement lié au changement climatique. On n’observe pas de diminution des populations sur les espèces chassables, celles qu’on observe le plus, car tout est fait pour qu’elles ne diminuent pas. Si elles diminuent, on modifie nos prélèvements pour faire en sorte qu’elles repartent à la hausse. Pour l’instant, le changement climatique favorise certaines espèces. »

« Il y a aussi d’autres espèces moins symboliques de la chasse dans le Trièves et sur lesquelles on a du coup moins de visu mais on s’aperçoit, d’une manière générale sur le département, qu’il y a des variations, avec le passage de certains migrateurs notamment. Si je prends la bécasse par exemple, ou certaines grives : elles se cantonnent sur le Trièves à l’automne parce que pendant la migration, il y a des jours de mauvais temps et du coup elles ne peuvent pas passer le col de Lus. Avec les étés plus longs, les courants migratoires traversent plus facilement, donc on ne ressent pas d’impact direct mais il y a un impact parce qu’il y a moins de temps de posée dans le Trièves. Elles traversent plus vite. On sait qu’il y a des espèces non chassables sur lesquelles le changement climatique a une influence : les insectes, les passereaux… Il y a des étés plus précoces. Les cailles des blés migrent plus tôt donc au moment de la chasse on vous dit qu’il y a moins de cailles mais il n’y a pas forcément moins de cailles, c’est qu’elles ont transité plus tôt. Il y a un décalage des périodes. L’impact qu’il y a sur les insectes, par ricochet, a un impact sur d’autres espèces. On se rend compte que les changements agricoles font qu’il y a de moins en moins de perdrix. L’agriculture a changée du fait du changement climatique et l’agriculture ayant changé, il y a un changement sur le milieu et donc sur l’apport de nourriture. On ne peut pas souvent lier le changement climatique à une espèce. C’est par ricochet qu’il a un impact mais ça impacte. On a beaucoup d’impacts par ricochets. Le réchauffement climatique va avoir un impact sur l’utilisation des pâturages : moins d’utilisation de pâturage, des milieux qui se referment et donc des impacts sur les tétras-lyres par exemple. C’est tout de suite plus difficile de lier le changement climatique à l’espèce mais le changement climatique va avoir un impact sur le milieu et le milieu sur l’espèce. L’Homme peut réouvrir les milieux artificiellement et réduire l’impact sur l’espèce. Il y aurait un vrai impact si l’Homme n’intervenait pas car il contrebalance l’effet du changement climatique. »

Modification de la forêt

« Les chasseurs sont très régulièrement sur le terrain et partout et on voit une modification de la forêt. On voit qu’il y a une mutation de la forêt parce qu’elle n’est pas suffisamment gérée. Il y a beaucoup de propriétaires privés qui ne font pas nécessairement les coupes. Oui, il y a un impact sur la forêt avec les milieux qui se referment, avec des espèces qui ne poussent pas comme elles devraient pousser, avec des changements dans la fructification forestière. Quand une forêt est gérée il y a des perchis, des taillis, des repousses avec des cycles de gestion. Si on ne la gère pas, les taillis prennent de plus en plus de place, les buissons se mettent au milieu. Parfois les forêts deviennent impraticables. Le couvert dessous disparaît car elles sont trop fermées. La forêt évolue mais est-ce qu’elle se referme parce qu’elle n’est pas gérée ou à cause du changement climatique ? »

Evolutions des pratiques de chasse

« Les pratiques de chasse évoluent nécessairement par plusieurs facteurs : parce qu’il y a de moins en moins de chasseurs et de plus en plus de gibier. Il y a aussi de plus en plus de contraintes pour réaliser les plans de chasses. Aujourd’hui les chasseurs sont obligés de mieux s’organiser pour être plus efficaces. On est de plus en plus attendus. Il y a une attente de résultat maintenant. C’est de moins en moins un loisir et de plus en plus professionnel, organisé, avec des consignes de sécurité. Il est là l’impact sur nos pratiques. »

Ressentis en tant qu’habitant du Trièves

« Je me rappelle gamin les chutes de neige l’hiver et ce que mes grands-parents et parents ont pu nous raconter par rapport à ce qu’on voit nous aujourd’hui. Quand on a une grosse chute de neige au mois de décembre et un coup de froid au mois de janvier, on se dit « oulala » alors qu’eux nous parlent de période de neige de mi-novembre jusqu’à fin février. Je me rappelle gamin avoir fait du sac sur une plaque de neige de l’Obiou. Je ne le referais pas aujourd’hui parce cette plaque de neige n’existe plus. Certains disent que c’est mieux d’avoir moins de neige sur les routes mais je ne suis pas sûr que ce soit bien. On nous dit aussi qu’avant on moissonnait en juillet ou en août le temps que les céréales soient sèches. Aujourd’hui, à la mi-juin on commence à moissonner. Cette année on voit les grosses températures du mois de juin, les cours d’eau qu’on ne voit plus couler. »

Sensibilité écologique

« En tant que chasseur, on a toujours eu une cette vision de la relation de l’Homme à son territoire : la forêt et les animaux qui l’entoure. Que ce soit moi ou l’ensemble des chasseurs, on est forcément impactés, acteurs et victimes de ce changement climatique. »

« Le changement climatique ça m’interpelle. Je suis d’un naturel confiant et j’aurais tendance à dire qu’on s’est sortis de tout et qu’on trouvera les bonnes idées mais ça m’interpelle quand même pour savoir comment sera le futur. Qu’est-ce que je vais laisser à mes enfants ? Comment mes enfants vont gérer cette zone [le Trièves] qui nous tient plus qu’à cœur ? J’aime le Trièves et ma commune viscéralement. Si j’ai fait le choix de revenir dans le Trièves c’est pour habiter chez moi et pas une autre commune du Trièves. Mes parents, mes grands-parents m’ont laissé un certain patrimoine : qu’est-ce que moi je vais laisser comme patrimoine à mes enfants ? Est-ce que mes enfants pourront voir les prairies verdoyantes, les grandes forêts de sapin ? Est-ce qu’ils verront des cerfs et des coqs de bruyère ? Est-ce qu’ils verront des marmottes ou alors du chêne vert et de la garrigue ? Je pense qu’on finira par trouver les bons modes de consommation pour s’adapter à tout ça mais je ne crois pas à la décroissance. Consommer autrement oui. »

Mes pratiques 

« On essaie de faire des petits gestes au quotidien mais ce n’est pas évident : on trie les déchets, on fait attention à la lumière, à la consommation d’eau. Chacun sa petite goutte. J’aimerais moins consommer de déplacement automobile mais les horaires de train ne sont pas toujours adaptés et l’emploi non plus. Il y a forcément un moment où il faut descendre sur Grenoble pour aller travailler. Il faut faire l’aller-retour et des fois à des horaires qui ne sont pas forcément adaptés au covoiturage : parce que des fois il faut partir tôt et rentrer tôt pour aller chercher les enfants à l’école, parce que ma journée de travail ne correspond pas forcément à celle d’un autre. J’ai aussi des activités associatives sur Grenoble qui font que je peux rentrer très très tard. J’ai une volonté de faire les choses mais il y a encore des freins structurels pour les mettre en place. Je ne sais pas vraiment comment lever ces freins structurels. J’ai pris le train pour aller au travail quand je n’habitais plus dans le Trièves mais aujourd’hui je ne le fais pas parce qu’il faut prendre la voiture pour aller à Clelles, prendre le train de Clelles jusqu’à Grenoble et reprendre les transports en commun de la gare jusqu’à mon lieu de travail. C’est faisable mais il me faut 2h30 pour le faire alors qu’avec ma voiture je mets à peine 1h. Ma sensibilité « écolo » me dit que je devrais le faire mais le côté pratico-pratique me dit que je n’ai pas le temps de le faire. Demain, s’il y avait une voiture électrique qui avait assez d’autonomie pour aller jusqu’à Grenoble, passer la journée là-bas et revenir, peut-être que je passerais à une voiture électrique même si aujourd’hui on peut se demander si une voiture électrique est bien plus écologique qu’une voiture thermique. Oui, ça consomme moins de pétrole mais est-ce qu’elle ne consomme pas plus d’autres choses ? Après, le meilleur déplacement écologique c’est celui qu’on ne fait pas. Aujourd’hui moi j’attends que le Trièves fasse le bond de la 0G à la 5G direct pour faire du télétravail. Cela demande du haut-débit et un réseau mobile fiable et ce n’est pas le cas techniquement mais aussi dans l’esprit des trièvois. Aujourd’hui, beaucoup viennent dans le Trièves pour ne pas avoir d’ondes. Moi je suis parti parce qu’il n’y en avait pas, je reviens parce que ça commence à arriver mais je regrette que cela ne soit pas assez. Il y a ce conflit d’usage. Il faut arriver à concilier les trièvois « pur souche » qui ont pu partir parce que la modernité ne suivait pas comme moi et qui souhaitent revenir avec ceux qui ont quitté la modernité pour venir ici parce qu’il n’y en avait pas. »

Rencontré le 28/07/2022

Stéphane Horvath travaille dans le bâtiment depuis 35 ans. Il a 51 ans. Il habite dans le Trièves, à Monestier du Percy depuis 22 ans.

La chaleur et la sécheresse

« Je suis venu dans le Trièves pour la tranquillité et aussi pour travailler au frais à l’époque. Ça a changé. Avant, quand on avait soif on avait qu’à traverser la rue pour se servir à un bassin. Aujourd’hui, on est des fois obligés de prendre le fourgon pour aller chercher de l’eau parce que les bassins ne coulent plus. Il n’y a plus de sources, plus d’eau dans les ruisseaux, plus rien. On voit des crevasses dans la terre. La chaleur parle d’elle-même. C’est normal qu’il fasse chaud l’été mais là c’est abusé. On passe les 42-45°C en plein soleil. Dans les grandes villes, ils ont des protocoles pour ne pas travailler quand il fait trop chaud, pour aménager les horaires. Dans le bâtiment, ça n’existe pas. C’est de plus en plus dur physiquement. En fin de saison, quand tu rentres le soir, tu es ruiné. Ça te tue. Tout est plus compliqué. Le béton tire trop vite. Il faut arroser les dalles. Il n’y a plus d’eau, plus de pression dans les tuyaux. »

« Pour s’adapter, si on veut, on peut commencer une heure plus tôt le matin mais ça ne change pas grand-chose et si tu commences à 4h du matin, le soir tu es foutu. A mon âge je n’ai plus envie. Les jeunes essaient un peu de le faire. »

« J’ai une petite exploitation agricole, avec quelques animaux. C’est la catastrophe. Il n’y a plus d’herbe. On va déjà passer au foin. On doit en acheter plus qu’avant. Ça commence à faire peur. »

« J’ai une petite piscine pour les enfants. Les oiseaux viennent pour y boire. Ils ont le bec ouvert. Ils viennent même si tu es dans l’eau. D’habitude ils ne s’approchent pas comme ça. Les animaux sont perdus. Ils me regardaient comme s’ils me disaient : « fais quelque chose ». C’est impressionnant. Tu vois des renards boire en plein milieu de la journée dans la nature alors qu’avant tu ne voyais pas ça. »

« Avant le Trièves, je venais d’Echirolles, c’était compliqué la nuit l’été alors que dans le Trièves tu pouvais te reposer. Il faisait frais. C’est la première année que j’ai dû mettre un ventilateur la nuit pendant 15 jours pour pouvoir m’endormir. On ne connaissait pas ça dans le Trièves avant. » 

« Il y a des produits de construction qu’ils utilisent dans le Sud et qu’on utilise maintenant chez nous. Niveau isolation, on isole presque plus de maison pour le chaud que pour le froid maintenant. »

« Avant on chauffait à peu près 8-9 mois et aujourd’hui tu chauffes moins et moins longtemps. Il y a moins de gel qu’avant. On ne gratte le pare-brise plus que quelques fois. »

La neige

« On n’a plus de neige. Quand je suis arrivé dans le Trièves, en 1998, une année, il est tombé 88cm dans la nuit. Maintenant, ça blanchit un peu de temps en temps, ça fond, ça reneige, ça fond. Quand il neigeait au mois d’octobre, on ne revoyait pas la terre avant avril parce que ça gelait dur dessus et ça restait gelé. J’ai vu jusqu’à -20 en Trièves. Aujourd’hui ça n’existe plus. Quand j’ai commencé à travailler dans le Trièves, on avait un seul mois de vacances, en janvier, parce que c’était impraticable. Aujourd’hui on peut travailler quasiment toute l’année dehors. Ce n’est pas évident non plus quand il fait froid mais mieux qu’avant. » 

Observations climatiques : vent, saisonnalité…

« Le vent c’est affreux. J’en discutait avec les anciens et ils me disaient qu’avant dans le Trièves, il y a une trentaine d’années, il n’y avait pas de vent. Ça s’est vachement pénible. Ça finit de faire sécher et crever toutes les plantes avec la chaleur. On se croit bientôt dans le Gard : le 15 juin c’était déjà tout sec comme dans le midi. Avant, le Trièves était quand même reconnu pour une espèce de micro climat où il faisait chaud l’été mais il y avait une douceur au printemps et l’hiver était agréable. Aujourd’hui, on dirait qu’il n’y a plus que deux saisons : on passe de la doudoune à la canicule et vice versa. Le corps n'a pas le temps de s’adapter. » 

« Les premières années où j’étais là, je me rappelle qu’on avait eu 29 jours de pluie en octobre. Je n’ai jamais revu ça. Il n’y a plus de pluie à l’automne, au printemps… Entre septembre et octobre, un mois/un mois et demi de pluie, c’était courant avant. »

Biodiversité

« Il y a beaucoup d’araignées qu’on n’avait pas avant, qu’on ne trouvait que dans le Gard ou le Mercantour. Ma fille s’est fait piquer par une araignée il y a deux ans. Elle a eu un énorme œdème. C’était tout nécrosé. Personne n’a su lui dire ce que c’était. Elle a envoyé les photos à un institut dans le Sud et ils en ont déduit que c’était une araignée violoniste qui n’est pas reconnue chez nous parce qu’il n’est pas censé faire assez chaud. J’en ai pris en photo sur des branches sur un chantier. C’est une toute petite araignée noire avec un gros corps. Aujourd’hui, ça remonte en altitude. Les insectes sont différents. On a des cigales aujourd’hui. Il y a une vingtaine d’année il n’y avait pas de cigales dans le Trièves. » 

« J’ai un copain qui m’a dit, il y a quelques années, qu’il allait planter des oliviers. Je lui ai dit : « mais qu’est-ce que tu fais ? » et il m’a répondu qu’un jour on aurait des oliviers dans le Trièves. Il était vachement avant-gardiste et il connaissait bien la nature. Aujourd’hui ses oliviers font bientôt deux mètres et ils commencent à avoir des olives. C’est impressionnant la vitesse à laquelle ça va. »

Sensibilité écologique et préoccupations 

« On voit plein de reportages à la télé…si ça peut faire prendre conscience aux gens. Jusqu’à maintenant tout le monde était plein de bonne volonté mais personne ne faisait attention à rien. Maintenant que c’est physique, les gens vont peut-être faire un peu plus attention. »

« J’ai un projet de poêle à granulés pour éviter de consommer trop de fuel. On fait aussi attention à l’eau. Je sensibilise mes enfants là-dessus. L’autre jour, ils tiraient l’eau pour qu’elle soit fraîche. Je leur ai dit de plutôt la mettre au frigo ou de mettre des glaçons. L’eau il faut y faire attention. A Monestier du Percy, on a eu un coup de fil de la part de la mairie pour expliquer que l’eau diminuait et que si ça continuait comme ça on avait plus d’eau dans 4-5 jours. Depuis une semaine, ils font plus attention. 5 minutes sous la douche c’est déjà beaucoup. On est obligés de faire attention. On fait ce qu’on peut à notre échelle. »

« Le changement climatique ça me désole. Tu vois des pays où il fait sec, où il n’y a rien qui pousse. Nous on a tout et on est en train de tout massacrer. »

« Pour 1m3 de béton, il faut 1000L d’eau mais on n’essaie pas de changer, de faire autrement. Il faudrait peut-être plus pousser à l’éco construction mais ça dépend de la manière dont est coupé le bois, si on le replante derrière ou pas… »

Potager

« La végétation ne comprend plus rien. Quand tu fais un potager, il y a tout qui crève. C’est tout petit, ça se couche. Ça ne supporte pas la chaleur. Il y a des choses qu’on ne peut plus faire : les poireaux, par exemple, il leur faut assez de frais la nuit. Les salades elles montent. »

Rencontré le 12/07/2022

Vigneron originaire du Trièves, Samuel Delus est passé par Paris puis est revenu en 2004 à Prébois. Il a commencé à replanter les vignes à partir de 2012 et à vendre son vin en 2015.

Les vendanges

« Je n’ai pas énormément avancé ma période de vendanges mais cette année on aura une quinzaine de jours d’avance voire trois semaines. On ramassera mi-septembre au lieu de fin septembre - début octobre. En 2018 on a aussi eu ça. Dès le mois de juin il a fait chaud. Cette année, c’était dès le mois de mai. En 2018, on est arrivés sur des maturités très élevées au moment de la vendange. On s’est fait avoir parce qu’on ne s’y attendait pas. Ça a produit des vins à 14 degrés, c’était un peu trop. C’est la quantité de sucre qui fait qu’il y a plus d’alcool. Globalement je suis autour de 12-12,5 degrés, un peu plus haut sur le Pinot gris. Avec la chaleur, le taux de sucre augmente. Les agriculteurs moissonnent plus tôt maintenant. Pour le raisin, je pense que c’est différent. On pourrait peut-être commencer un peu plus tôt mais je cherche à vendanger des raisins d’une maturité optimale, notamment pour les rouges, et en montagne, les vignes sont toujours un peu plus longues à venir et ne sont pas au rendez-vous chaque année, alors je préfère souvent retarder autant que possible la récolte. Ici mes vignes attaquent 700 mètres d’altitude. Sur 10 ans, depuis que j’ai commencé les vignes ici, je ne remarque pas de décalage. Mais si on regarde sur 50 ans, mes grands-parents et d’autres anciens avaient des vignes et faisaient leurs vendanges en novembre, des fois sous la neige et les raisins étaient encore verts. Il y a clairement une différence. Aujourd’hui, mi-octobre, les précoces sont très mûrs et on a tout ramassé. On ne vendange pas sous la neige. » 

Chaleur et sécheresse

« On est sur une année marquée par le changement climatique. C’est historique. On ne sait pas trop où on va. Il faut de l’eau pour que le raisin murisse et pas trop de chaleur. Pour une photosynthèse optimale, il faut qu’il fasse 25°C. Il n’y a pas une trace de maladie cette année. J’ai traité seulement trois fois sur feuillage. Ça fait trois semaines que je n’ai pas traité et je n’ai pas une trace d’oïdium ou de mildiou. Je pense que l’oïdium n’a pas pu s’installer au départ parce qu’il a fait chaud dès le mois de mai. L’année passée ce n’était pas pareil. Je n’ai jamais vécu une saison aussi sèche. Je pourrais en parler mieux dans un an car je ne sais pas encore ce que cela va donner. Il y a eu un coup de chaud sur la fleur pour certaines vignes qui étaient à un stage de floraison fragile et il y a donc eu beaucoup de coulures. Il y a des fleurs qui ont avorté. C’est typique de cette année. Est-ce que ce sera le problème récurrent à terme ? Du coup, sur les grappes des douces noires et des chardonnays, il n’y a pas grand-chose. Il y a des différences selon les variétés. J’ai l’impression que les mieux adaptés ce sont les pinots noirs et gris. Ils débourrent tard donc ne gèlent pas au printemps et murissent tôt donc on peut les ramasser avant que ça ne gèle en automne. »

« Globalement, mes vielles vignes sont belles. Je croise les doigts pour qu’elles soient suffisamment implantées pour que cela tienne si on a encore deux mois sans eau. J’ai l’impression qu’elles ne souffrent pas trop de la chaleur même si on voit quelques marques de grillure sur le raisin et qu’elles ne sont pas aussi développées que d’habitude. Il faudrait que les grains grossissent et se resserrent. Quand il fait trop chaud, la vigne se met en stress hydrique et c’est comme quand il fait trop froid : ça s’arrête de mûrir. Pour celles que j’ai planté récemment c’est plus compliqué. On voit les traces des coups de chaud. C’est trop chaud, trop tôt. Mes jeunes vignes ont séché en haut, au niveau de l’apex [la pointe terminale], donc elles ne vont plus monter mais quelques pieds repartent par le bas. C’est l’espoir que j’ai pour éviter de tout replanter l’année prochaine. L’année passée j’avais déjà replanté tout ce qui était mort. J’ai mis des tubes pour les protéger des lièvres mais ça fait comme une micro serre et ce n’est pas adapté à de grosses chaleurs. »

« Quand j’ai eu l’idée de m’installer là, il y avait déjà des tendances à la sécheresse et des températures trop élevées sur des Côtes du Rhône et sur la Côte d’Azur. Dans le Sud, les vins sont tous à 14,5-15 degrés. L’avenir de la vigne c’est clairement à la montagne. Ils essaient de remonter les vignes en hauteur tant qu’ils peuvent et d’implanter de nouveaux cépages plus tardifs pour ne pas qu’ils mûrissent trop vite et que cela fasse des vins trop élevés. »

« C’est vrai qu’il y a quelques années on ne passait pas une soirée d’été en T-shirt dehors et aujourd’hui on peut complétement. On ressent qu’il y a une tendance au réchauffement. »

La ressource en eau

« Depuis 15 jours sur Prébois, il y a un peu plus de monde avec une colonie de vacances et on sait que le trop-plein du réservoir d’eau potable ne coule plus. On a des sources qui tarissent et là c’est tôt. D’habitude c’est plutôt en octobre. C’est pour ça que la commune avait évoqué le blocage des permis de construire parce que si on est plus nombreux ça va devenir encore plus compliqué… Comme il neige moins, ça ne ramène pas d’eau non plus. Je n’arrose presque jamais normalement, seulement un peu au moment de la plantation en avril. En général, on ne manque jamais d’eau mais cette année les jeunes vignes souffrent. J’ai déjà mis 6000L d’eau la semaine dernière dans la côte où il y a les jeunes vignes. On voit quelques feuilles vertes. C’est grâce à l’arrosage. Ça va en aider quelques-unes. C’est long d’arroser parce qu’il faut compter jusqu’à 30 secondes par pied. Il faut environs 3 heures pour vider la tonne à eau. J’aurais dû arroser les jeunes vignes plus tôt. Il y en a plein qui ne repartiront pas. J’ai des collègues vers Voreppe qui ont eu 120mm donc beaucoup d’eau et nous à Prébois on en a eu 30 en tout : 6, 20 et 4mm. C’est rien et on est partis sur des semaines de chaud et sec. Il parait que la Vanne ne coule quasiment plus et l’Ebron pas beaucoup… »

Le gel

« Le gel tardif ça peut affecter les vignes mais ça touche presque plus ceux qui sont dans les plaines que nous parce qu’ils ont très chaud, très tôt. Nous on craint plus sur la fin des gels tardifs, sur les Saints de Glace, de fin avril à mi- mai, parce que c’est là que la vigne a commencé à partir et qu’on risque d’avoir des températures négatives. Chaque année j’essaie de surveiller ce moment-là, de faire du feu si besoin. Cette année je n’en ai pas fait, on n’a pas gelé du tout. En 2020, en plaine, certains collègues sur des côteaux plus bas ont perdu 90% de la récolte. On est presque plus à l’abris du fait d’être en montagne parce que ça débourre plus tard. Début avril on est totalement à l’abris parce que ce n’est pas sorti. -2,5°C ça va mais à partir de -3° ça devient compliqué. En 2017 j’ai les viogniers [cépage] qui ont un peu ramassé. »

L’enneigement

« Il y a des années comme l’année dernière [2021], où l’été était froid et humide. On voit peut-être plus la différence sur la quantité de neige. La neige dure de moins en moins longtemps. Elle tombe et elle fond vite. J’avais des photos de mon ex chien au moment où je m’installais dans les vignes, en 2010. On avait 50cm de neige et je crois qu’on n’en a pas souvent revu autant. Quand je palissais les douces noires, je me souviens, qu’on plantait les piquets en hiver dans une bonne quantité de neige et depuis on n’en a pas eu beaucoup. »

La grêle

« Avec le changement climatique, il y a aussi une tendance aux événements extrêmes comme la grêle. J’en ai eu en 2018 et heureusement ça n’a duré qu’une minute. Ça c’est problématique. »

Les nuisibles et les maladies

« Les maladies sur les vignes ce sont surtout les champignons : le mildiou, l’oïdium, le blackrot… J’ai l’impression que cette année ça se gère naturellement avec la chaleur. Tant mieux parce que traiter c’est un problème. Je n’ai pas trop de nuisibles à part les blaireaux, les sangliers et les lièvres. Cette année, je n’ai pas vu trop de sangliers. Comme il fait chaud, ils se tiennent peut-être un peu en altitude. Sinon, on est obligé de tout parquer. Les blaireaux c’est une plaie pour les vignes. Je mets aussi un effaroucheur pour les oiseaux. »

« Mes vignes ont mis longtemps à rentrer en production parce que je suis en altitude et sur un sol très sec qui draine beaucoup l’eau. Mais une fois que c’est installé, ça produit bien. Aujourd’hui je continue d’augmenter malgré les pertes de l’année dernière par exemple même si pour l’instant c’est encore un peu limite. Je vends plutôt localement, jusqu’à Lyon, et j’ai un caviste qui me prends du vin sur Paris mais surtout des restaurants du Trièves, de Grenoble. En 2021, je suis environ à 6000L donc c’est à peu près 8000 bouteilles. Ce n’est pas énorme mais c’est pas mal. J’ai 2 hectares et demi en tout. »

Rencontré en août 2022

Noël Descombes est retraité. Il a fondé son activité équestre et a repris une exploitation agricole. Il a 70 ans et est originaire du Trièves. Il a vécu à Clelles et vit à Mens depuis 40 ans. 


L’eau

« C’est sûr et c’est net qu’il y a des évolutions. On sent bien qu’il y a moins de précipitations, des températures de plus en plus chaudes, des sècheresses qui se répètent, le souci d’eau potable déjà et puis de l’eau tout simplement : pour les chevaux, pour la nature. On ne peut pas l’ignorer. Il y a un phénomène de réchauffement c’est certain. »

« On récupère l’eau du toit. On a un bassin de 5 m3. Quand il y a des orages, ça nous remplit de nouveau le bassin. Les années normales ça nous fait 80% de l’eau mais cette année ça ne le fera pas. Le bassin va être vide et il y a très peu d’orages donc après on finit avec l’eau de la commune. »

« Les ruisseaux sont très bas. Ce sont des fils d’eau et des eaux polluées tout de suite. Avant, l’eau était propre jusqu’à début août. On ne sentait pas d’algues et ce n’était pas vert. Là, on est fin juin et il y a déjà de la pollution dans les ruisseaux. L’eau se réchauffe. Elle tourne vite et devient verte. On est obligés de couvrir notre bassin. Si on le laisse au soleil, les chevaux ne boivent plus l’eau parce qu’elle devient verte. Il faut s’adapter. »

« On peut craindre de ne carrément plus avoir d’eau sur le réseau et avec les chevaux on ne peut pas se permettre. Manger ils trouveront toujours mais boire… On est seulement début juillet donc on a deux mois à passer à charrier de l’eau. Bientôt, il faudra tous les jours leur chercher quelques milliers de litres dans une tonne à eau. Quand il pleut, on récupère et ça nous soulage beaucoup. Ça soulage aussi le réseau d’eau. »

« Cette année on n’a aucune pluie. Il y a des orages sur les montagnes mais rien au milieu du Trièves. Il tombe trois gouttes. L’herbe est sèche. Il faut espérer qu’on n’ait pas trop d’années comme celle-ci. »

« J’ai essayé de faire un puit mais ça ne marche pas. J’ai juste 5cm d‘eau au fond. Je vais sûrement essayer de récupérer encore plus d’eau du toit, d’augmenter la surface parce qu’avec le peu d’orages qu’on a… Je pensais même faire une grosse citerne souterraine. »

Le foin et l’herbe

« Il faut toujours s’adapter à l’herbe. Cette année par exemple on est obligés de couper de très bonne heure sinon ça sèche tout. Ça oblige à démarrer de bonne heure, à ramasser même s’il n’y a pas grand-chose parce qu’on en a besoin. Donc même les petites récoltes on les ramasse alors qu’il y a quelques années on n’aurait peut-être pas ramassé. On ramasse entre 15 jours et 3 semaines plus tôt pour essayer d’avoir du foin vert de qualité. On ne sait même pas si les graines sont porteuses ou reproductrices. Ça fait des tas de questions. On donne du foin au chevaux l’été pour compléter alors qu’avant on n’en donnait quasiment pas. Et évidemment on est obligés d’en avoir l’hiver. On ne sait jamais comment cela va se passer dans les 6 mois qui viennent. C’est très difficile à gérer. »

Les chevaux

« On a de la chance que le cheval est rustique. Il mange tout, même l’herbe sèche. On a l’impression qu’il devine un peu la dureté de la vie et qu’il mange tout ce qu’il trouve. Peut-être qu’il s’adapte. Il faut aussi bien qu’il supporte les chaleurs. On essaie de ne pas faire d’activités entre 14h et 16h. On le fait le matin ou en fin d’après-midi. Sinon c’est net, ils se mettent à l’ombre et ils n’ont pas envie de partir. Ils savent se protéger. »

Insectes

« On a eu ces dernières années des invasions comme la pyrale du buis qu’on n’avait jamais eu avant. On se demande pourquoi elle est arrivée. C’est sûrement lié à la température. On a un beau cerisier. Cette année, on a pu en récupérer quand même pas mal mais ça a fini avec la mouche du cerisier. Ça doit faire la deuxième ou troisième année qu’on voit ça. Avant on n’en avait pas. Dans le midi ils en avaient déjà. Cette année heureusement c’était à la fin de la récolte. »

Neige

« Le changement dans les chutes de neige c’est énorme. J’ai vu des 80 centimètres et des hivers qui ont duré 3-4 mois dans le Trièves. Maintenant, si on a 20 centimètres, pour faire une sortie ski il faut faire vite. » 

Ressentis et bonnes pratiques

« J’ai une sensibilité écologique depuis toujours. J’ai toujours vécu à la campagne. J’avais des grands parents très agricoles, qui travaillaient et récupéraient beaucoup. Ils avaient tous les animaux de la ferme. Ça me rappelle de bons souvenirs. Il faudrait apprendre à tuer un poulet, à le plumer, à cuisiner un lapin pour être autonome. Le monde rural devrait se pencher là-dessus. Les générations passées elles savaient tout faire. Nous on en a déjà perdu 60% et encore une génération je ne sais pas ce qu’il va rester. Il faut apprendre à vivre en autonomie et tous ceux qui peuvent le faire c’est autant moins de consommations, de déplacements. Pour ça, je crois qu’il faut être à la campagne et avoir quelques savoir-faire. Il faut essayer de moins se déplacer. J’essaie d’aller chercher le pain en vélo plutôt qu’en voiture et des fois je le fais moi-même. On ne gaspille rien. On ramasse aussi tous les papiers le long de la route en revenant ou en partant en balade. On se chauffe au bois. On a une installation électrique qu’on n’utilise presque pas. Le bois ça devait être provisoire et puis 40 après on se chauffe toujours avec. Il faut essayer de vivre un peu en autoconsommation mais il faut la santé et le temps pour tout faire et aussi avoir la chance de vivre à la campagne. »

« Quand je pense « où est-ce que je vais devoir mettre les chevaux demain ? » parce que là il n’y a plus d’herbe et là non plus, c’est pesant. On a fait du foin mais si on le mange tout maintenant [en été] on n’en aura plus cet hiver. Pour l’instant on y arrive mais on a toujours peur que ça puisse s’aggraver jusqu’à une limite où on se demandera comment faire. Il faut se débrouiller et s’adapter. C’est peut-être aussi avoir moins de chevaux mais ce n’est pas simple si on veut que tous les cavaliers se fassent plaisir : il faut avoir différentes tailles, plusieurs tempéraments. »

Rencontrée le 09/08/2022

Muriel Leguern est pisteuse, nivométéorologue et possède un gite (Narcisse) à Gresse-en-Vercors. Elle habite dans le Trièves depuis 30 ans.


« J’ai suivi une formation d’une semaine avec Météo France. On apprend à noter la météo chaque jour, à la coder et à faire des sondages par battage. On creuse la neige une fois par semaine jusqu’au sol pour en sortir un profil stratigraphique avec la hauteur et le grain de neige. Avec ces données plus celles des autres stations, et les relevés journaliers, Météo France établit le bulletin avalanche. Dans le Vercors, il y a Villard, Corrençon et peut être d’autres, nous et d’autres stations importantes comme celle au Pas de l’Oeille (Nivose Le Gua). Quand je fais les relevés météo pour la station c’est précis. On note tous les jours le vent, sa force, la hauteur de neige, le type de nuage, le temps qu’il a fait la veille et au moment présent, la température maxi et mini, l’humidité et les précipitations. »

La neige

« En cumulé, il y a 20 ans, c’était classique d’avoir 8 mètres de neige sur un hiver et maintenant on a plutôt 3 mètres de neige cumulée. Il y a de la neige mais ça fait beaucoup moins d’eau à la fin, pour le printemps. » 

« Il y a toujours de la neige mais elle est décalée, c’est-à-dire qu’on peut faire du ski de rando jusqu’à fin mars. On ferme la station le 15 mars parce qu’il n’y a plus de clients et pas souvent à cause du manque de neige. Par contre, en décembre, on n’a pas de neige C’est un ressenti mais pour moi ça se décale, il y a plus de neige vers la fin de saison qu’en début de saison. » 

« Ça fait plusieurs années qu’on a une chute de neige fin novembre mais tout fond. Il reneige un peu en janvier et puis un petit peu à chaque fois. On arrive à tenir la saison mais ce ne sont pas des grosses quantités. Quand on voit 50cm tomber on se dit « wow ». On va vite le mesurer sur la table. On a plutôt des chutes de 20-25cm [A Gresse-en-Vercors] mais il peut pleuvoir dessus. Maintenant, il y a de l’eau qui tombe même à 1700-1800m et toute la saison donc on a plus d’avalanches de fonte, de neige mouillée. Elles sont plus en altitude et plus tôt qu’avant. En décembre, on peut se prendre une avalanche de fonte. La neige est imbibée d’eau comme au mois de mars. La structure de la neige a changé. Le 31 décembre 2021, ça a été de la folie au niveau des précipitations. C’était affolant ce qui est tombé en volume de pluie. On a perdu une piste en 2h. Elle s’est transformée en torrent. On a dû faire venir un tractopelle sur la piste en plein hiver. C’était la misère. On est obligés de faire des tranchées sur les pistes pour que l’eau s’évacue. On ne peut pas se dire qu’on est sereins pour la saison. Ça peut changer en 2h de temps. »

« Avant, on n’avait pas ce phénomène de sable du Sahara qui a complétement rougit les montagnes, surtout dans les Pyrénées cette année et chez nous l’année dernière. Pour l’instant Météo France n’est pas capable de dire si cela a une influence sur les avalanches si ce n’est que ça fait un albedo plus important [pouvoir réfléchissant d’une surface]. Quand la neige est blanche, le soleil se reflète et cela n’a pas d’incidence mais si elle est teintée, ça absorbe l’énergie et ça fond plus vite. Le sable, il reste. J’en ai retrouvé sur des rochers en été. J’aurais pu remplir un petit pot avec. »

« Pour faire face au manque d’enneigement, on va essayer d’installer plus de barrières à neige. Ce sont des barrières en bois qui empêchent la neige de s’en aller loin sur les crêtes. On aimerait en mettre sur des endroits ventés pour bloquer la neige. Je trouve qu’il y a vraiment plus de vent qu’avant. Je sais que dans le massif central, ils n’ont pas de canons mais ils mettent des barrières à neige. Ça leur fait un stock de neige naturelle et ils piochent dedans avec la dameuse. Il y a aussi les dameuses à treuil qui existent depuis environs 20 ans. Elles permettent de remonter la neige que les skieurs descendent en permanence. Aujourd’hui, il y a aussi des dameuses qui sont capables de dire combien de centimètres de neige il y a sous la machine. Ça fait des économies parce que ça permet de mettre la neige au bon endroit. Ici on n’en a pas, c’est trop cher. Il y a aussi des études météo qui permettent de dire : « Là ça chauffe vraiment, il faut mettre beaucoup de neige. Là ça peut tenir jusqu’à fin mars avec 50cm de neige. ». Il y a des boites qui se sont créées en vendant un logiciel qui permet de dire ça. C’est cher mais les grosses stations investissent parce que ça leur fait faire des économies. Les dameuses roulent moins donc utilisent moins de fuel et ils font des économies sur le salaire des conducteurs. »

« Je pense que je serais à la retraite avant que la station ne soit fermée mais on voit que ça ferme un peu tout autour, de partout : en Espagne, en Suisse. On n’en parle pas trop mais en Suisse ils ont fermé des stations à 2400m d’altitude et ils ne démontent pas les télécabines parce que c’est trop cher. Les fermetures ce n’est pas toujours à cause du manque de neige mais aussi parfois à cause de la proximité avec une grosse station. Je n’ai aucune idée de combien de temps la station pourra rester ouverte. On bataille pour. On n’a jamais fermé complétement. On a réussi à tenir sur des langues de neige mais est-ce que ça fait rêver de skier sur trois langues de neige avec de l’herbe à côté ? On a un télésiège qui a 60 ans. Ça coûte cher à entretenir, la neige de culture aussi. On pousse nos machines au maximum pour économiser. » 

« Les courses en montagnes d’habitude ça se termine mi-juillet et là depuis juin on ne peut plus en faire : les glaciers sont tous pourris, les cailloux tombent, c’est hyper dangereux. On voit bien les photos avant/après des glaciers. Le glacier des 2 Alpes est noir. »

Les canons à neige

« Je me demande à quoi cela sert de mettre des canons alors qu’il ne fait pas froid. Dès qu’il fait un peu froid, on crache un maximum avec les canons mais du coup on vide la réserve et il faut attendre qu’elle se remplisse mais dans les périodes de froid il y a moins d’eau. C’est un chien qui se mord la queue. Mais si on n’avait pas les canons en bas, on ne vivrait pas. La station aurait déjà fermé comme le col de l’Arzelier. Les premiers canons ont été installés il y a longtemps, en 1988, au moment de la construction des Dolomites [résidence avec appartements et locations] et de l’explosion des stations de ski et c’était une bonne chose pour la station. On était les premiers à en installer en Isère. Le maire avait été visionnaire à l’époque. Aujourd’hui, on lui reproche d’avoir construit les Dolomites mais on manquait de lits et je crois que n’importe quel élu aurait fait la même chose à ce moment-là. Même si les canons sont aujourd’hui plus performants et consomment moins d’eau et d’électricité cela reste énergivore. » 

« On dit qu’une station est viable à partir de 1600m. Pour celles qui sont en dessous de 1600, l’avenir c’est fini s’il n’y a pas de canons mais il y aura aussi de moins en moins de froid donc ce sera compliqué de les faire fonctionner. »

« Nos canons vont jusqu’à 1500m, pas au-dessus. Ça n’enneige que la piste de descente. Je me suis positionnée contre car je trouvais que c’était un trop gros investissement pour le résultat obtenu. Il y a toujours des inversions de températures, cette année également. On ne rajoute pas d’additifs dans l’eau. En France c’est interdit. Ça marche juste avec de l’eau et du froid. Cette année il y a eu de la neige donc ça a fait des économies mais c’était la première fois qu’on ouvrait avec les nouveaux canons et on n’a pas pu vraiment les tester. »

« Le climat était tendu juste avant le vote. Il y a beaucoup de gens des résidences secondaires qui sont venus voter pour les canons. Ceux qui sont pour les canons disent que ça fait vivre le village, que sans ça il n’y a plus d’école, de boulangerie, plus de poste… S’il y a de la neige tant mieux, on peut skier, mais je ne crois pas qu’il faille la chercher à tout prix. Il y a des gens qui ont voté contre les canons du point de vue financier mais certains pour l’aspect eau. Il y a même des endroits où ils font de la neige de culture avec de l’eau potable. Je pense à l’avenir mais j’ai l’impression que peu de gens pensent au futur. »

« Je fais partie de l’association « Gresse 2050 ». On publie surtout des articles sur le climat. Météo France a sorti un document expliquant que si 47% du domaine skiable est enneigé par de la neige de culture alors la station a encore 30 ans d’existence et ceux qui ont défendu les canons à neige ici l’ont utilisé comme justification. On a fait un article pour expliquer où seraient situés les canons et pourquoi on était contre et puis on a posté des articles sur le Facebook de « Gresse 2050 » pour ceux qui voulaient les lire. Je fais une intervention « neige et avalanche » tous les lundis au cinéma. Je parle des enneigeurs et de la neige de culture mais je ne rentre pas dans les détails politiques. Je ne donne pas mon avis sur la question. »

Le tourisme

« Ici on a un public « montagne soft ». Les gens sont contents d’avoir de la nature préservée, pas de bruits, pas de remontes pentes dans tous les sens, pas de télécabines. »

« Les gens qui habitent à Gresse ne dépendent pas tous de la station. J’ai un gite : en février ce sont des skieurs mais pendant les week-ends intersaison, il y en a qui ne savent même pas qu’il y a une station de ski. Beaucoup de gens viennent en décembre même s’ils ne sont pas sûrs d’avoir de la neige. C’est beaucoup de familles. Le public skieur est vieillissant. Il y a de moins en moins d’enfants qui apprennent à skier. Ici, on a souvent plus de monde sur les pistes de luge que sur les pistes de ski. Le ski ça reste cher : il faut compter la location, le forfait, le logement et la bouffe… Les appartements de 15-20m2 ça a marché quelques années, dans les années 1970, mais maintenant les gens veulent des chalets, des maisons, du confort parce qu’ils ne skient pas tous toute la journée. A Courchevel, ils ont investi dans de l’animation, dans des activités à côté du ski alors qu’ils ont de la neige et beaucoup de pistes. »

« Il y a de plus en plus de monde qui télétravaille depuis le confinement. Ils s’installent ici et ne descendent qu’une ou deux fois par semaine sur Grenoble. Ils viennent surtout pour se mettre au frais, parce qu’il y a une école et d’autres activités. La station, c’est un plus. Ceux qui ont des résidences secondaires remontent de plus en plus le week-end et pendant les vacances pour fuir la chaleur de Grenoble et de Lyon. Je pense qu’on une clientèle climat. »

« Ici on arrive à trouver de tout en local : des fruits, des légumes, du fromage, de la viande. Ça doit faire 15 ans que je n’ai pas mis les pieds dans un Leclerc. Le dépliant de la route des savoir-faire il a été au moins multiplié par deux. Il y a une quantité d’artisans incroyable dans le Trièves. Je crois qu’on a déjà tout ce qu’il faut. Il faut faire marcher le tourisme avec des activités comme la poterie, les visites de fermes… On n’a pas besoin de rajouter une luge d’été. On me dit que je suis anti-touriste mais j’ai un gîte. Je pense qu’il ne faut pas à tout prix attirer les touristes. On a un planétarium et un super télescope. Ici, on a l’avantage d’éteindre les lumières la nuit à 23h et c’est formidable. On a un ciel hyper lumineux. J’ai mis du temps à avoir cette vision-là. Il y a 10 ans, si on m’avait proposé une tyrolienne géante qui partait du Baconnet et qui arrivait jusqu’en bas j’aurais sûrement dit « génial » mais aujourd’hui ça ne me fait plus rêver. Les gens apprécient tout autant quand je leur conseille d’aller observer les marmottes au Serpaton. »

« On a fait une cartographie de Gresse et je ne m’étais pas rendu compte qu’il y avait du goudron de partout. Il y a des immenses parkings. Evidemment l’hiver ce n’est pas surdimensionné parce que c’est plein mais hors saison, on ne voit que ça. Il y a une politique pour réengazonner actuellement. »

« On est contents quand on parle de nous mais les passerelles, par exemple, je ne les conseille plus en été. Les gens reviennent déçus parce qu’il y a trop de monde. Il y a 150 000 personnes par an. Le lac ne fait même plus de pub pour. Il faut suivre derrière quand il y a du monde avec des poubelles, des toilettes. On a mis des toilettes à l’odyssée verte c’est un investissement et puis il faut les nettoyer mais c’est indispensable. »

« Le tourisme et la façon de se déplacer a changé. Les gens viennent moins longtemps. Ils font des sauts de 2-3 jours. On n’a pas besoin d’aller loin. Je fais pareil. Je fais le tour du Ventoux en vélo pendant 3 jours et j’ai l’impression d’être parti un mois. Je pense qu’il faut revenir à ça. »

« On développe beaucoup d’activités l’été. Tous les jeudis on fait un concert-apéro et ça marche de mieux en mieux. Lalley fait maintenant la même chose le vendredi tous les 15 jours. Par contre, en hors saison, il n’y a presque plus rien. On essaie de faire des choses en mai et en septembre. En mai, on fait une fête de la nature avec des conférences, des films et des visites. »

La ressource en eau

« Les réserves d’eau sont vraiment très basses. On a énormément de fuites. On en a réparé mais il y en a encore un peu. Comme on est limite, la mairie a dû expliquer que si on continuait comme ça on serait obligés de couper l’eau de 22h à 5h. Notre retenue colinéaire se remplit assez rapidement grâce à de nombreuses résurgences et avec l’eau de la Gresse. On ne peut pas remplir la retenue en ce moment parce que le débit de la Gresse est bien trop bas. On n’avait pas trop de problèmes d’eau avant mais on voit bien qu’on ne va pas vers du mieux. Depuis juin, ma fontaine ne coule plus. J’arrose le jardin avec l’eau que je récupère en lavant les légumes ou avec la première eau de la douche. C’est impressionnant ce qu’on peut arroser avec ça. Ça fait à peu près 25L par jour. »

« Je fais du VTT régulièrement et l’alpage est sec, tous les chemins aussi. Je n’ai jamais vu ça. Les vaches risquent de redescendre plus tôt. Elles ne manquent pas d’eau. Elles ont toujours des points pour boire mais elles n’ont plus d’herbe. C’est jaune. Il y a déjà eu de la sécheresse comme ça mais pas aussi tôt. »

« Il y a un dérèglement c’est sûr. Les gens confondent souvent climat et météo. Bien sûr on peut avoir un mois de juillet très chaud et un mois d’août pluvieux. »

Biodiversité

« Cette année, il y a un mois d’avance sur les sabots de vénus. J’envoie toujours des photos à mes amis. D’habitude c’est le 11 juin et là c’était le 15 mai. C’est pareil pour le lys martagon et là tout est fané. Je me repère pas mal avec les épilobes. Fin août, normalement on voit tout leur pollen blanc en l’air et là ils sont déjà morts. Il y a aussi un mois d’écart. Il n’y a plus de plantes. Tout est cuit. Pour les animaux, je pense que c’est bien compliqué. Le manque de neige ça tue les marmottes parce qu’elles ne sont plus protégées par la neige dans leur trou. Elles sont obligées de fournir de l’énergie pour se protéger du froid et comme elles sont en période de repos, elles meurent. Elles sortent toujours au même moment peu importe la température ou s’il y a de la neige. »

Rencontrés le 17/06/2022

Jocelyne et Didier Montoliou Peybernes sont arrivés dans le Trièves en 1979. Ils habitent à Clelles et ont été maraîchers pendant 40 ans. Ils ont arrêté leur activité en 2019.


L’hiver

« C’est l’hiver qu’on ressent le plus les évolutions du climat. C’est seulement récemment qu’il y a des étés plus chauds. Quand on est arrivés dans le Trièves, l’hiver durait plus longtemps et surtout il était plus stable. Il faisait -8°C, -10°C dès novembre et jusqu’en mars. Parfois, en février, on pouvait avoir jusqu’à -20°C. Il y avait un à deux mois de vraie neige qui ne partait pas. Maintenant, c’est beaucoup plus variable. L’accélération s’est plutôt faite dans les dernières années parce que nos enfants ont connu cette neige. Avant, les pistes de ski de fond de Chichilianne partaient du village : le foyer était derrière l’église. Aujourd’hui il y a beaucoup de vent. Il n’y en avait absolument pas avant de novembre à mars. Il y avait des températures basses en hiver mais avec de grands ciels bleus. C’est plus perturbé aujourd’hui : beaucoup plus pluvieux, nuageux, gris... Ces changements n’ont pas vraiment affecté notre activité de maraîchage car l’hiver on se reposait. En habitant le Trièves, ça nous a même arrangé en rallongeant la saison de maraîchage. Nos meilleures saisons ont été les années les plus chaudes. »

Le gel

« Avant l’histoire des « Saints de Glace » ce n’était pas une blague. Vers le 15-20 mai, on pouvait vraiment avoir des gelées. Aujourd’hui c’est beaucoup moins angoissant. »

Les serres

« Nos pratiques de maraîchage n’ont pas été modifiées à cause du changement climatique contrairement à celles des nouveaux maraîchers.  On n’a pratiquement jamais utilisé de serres. On avait seulement une serre de semis en bois bien solide pour éviter une angoisse perpétuelle avec la neige bien lourde alors que maintenant, les jeunes maraîchers qui s’installent dans le Trièves ont tous des serres. On pouvait avoir une neige de printemps qui écrase tout au mois de mai par exemple. Ils ont beau avoir des serres renforcées, s'ils avaient eu la neige qu'on avait à ce moment-là, elles n'auraient pas tenu. Il pouvait tomber 30cm fin-mai. On ne devait pas oublier de se lever la nuit pour décharger. Maintenant, les maraîchers ont plutôt l’angoisse du vent. Il a déjà aplati des serres dans le Trièves. Si on avait travaillé encore 10-15 ans, on aurait sûrement dû évoluer dans nos pratiques. »

« Le maraîchage biologique aujourd’hui c’est bien mais utilise généralement beaucoup de plastique donc ça pose question. Mettre du plastique évite le désherbage qui est un travail difficile. C’est le choix que font la majorité des maraîchers aujourd’hui. Le plastique peut aussi servir à réchauffer la terre. A notre époque, quand on a commencé à faire du bio, la question ne se posait même pas. On évitait de mettre du plastique parce que ce n’est pas une des meilleures matières... Maintenant que le bio se généralise, il intègre des méthodes de cultures intensives comme l’utilisation de plastique. Ce n’est pas industriel non plus. On a fait le choix de ne pas en mettre sauf pour réchauffer la terre quelques fois. Le souci, c’est que les maraîchers bio doivent trouver un palliatif aussi efficace que le plastique. Certains font des mulchs de paille mais c’est compliqué d’en mettre sur une grande surface. Je crois que ça existe en chanvre aussi maintenant mais le prix est exorbitant. »

La grêle

« On n’a pas trop été touché par les grêles dans le Trièves. Il y a quelques années, on a eu une grosse grêle mais c’est surtout les tomates qui ont été abîmées. Les végétaux c’est costaud et il y a plein de choses qui sont reparties. C’est aussi parce que c’est arrivé au début de la pousse et pas à la fin de l’été. Ça aurait été beaucoup plus destructeur. »

L’eau

« Le maraîchage se portera bien tant qu’il y a de l’eau. Quand il y a eu des restrictions, en tant que maraîchers, on était prioritaires. Le manque d’eau ne nous a jamais trop handicapé. Il y a même eu des années où on arrosait peu mais cela change. C’est aussi grâce aux terres argileuses qu’on a eu qui retiennent pas mal l’eau. Pour les terrains de cailloux, c’est plus difficile. Aujourd’hui, les communes qui n’ont pas de réseau d’irrigation sont affectées. Avant, les champs de céréales n’étaient pas du tout arrosés alors que maintenant on le voit. Les agriculteurs arrosent même les grains pour les faire grossir, sinon ils mûrissent avant d’avoir grossi. »

La chaleur

« On tenait des agendas dans lesquels on notait la météo, tous les jours, ce qu’on faisait, l’arrivée des oiseaux, les premières récoltes… Il y a toujours eu des vagues de chaud en février ou des fois en mars mais quand la période de la récolte arrivait, à quelques jours près, on savait qu’on avait les premières tomates ou les premières courgettes. Cette année, la chaleur est marquante : les fruits rouges se ramassent bien plus tôt. L’année dernière [2021], j’ai fait les confitures de groseilles début-juillet. Aujourd’hui on est le 16 juin et j’ai déjà commencé. Les framboises sont aussi en train de mûrir alors que d’habitude c’est entre le 1er et le 14 juillet. Cette année c’est précoce mais il faut voir si cela dure sur plusieurs années pour établir un vrai lien avec le changement climatique. Cela fait aussi une dizaine d’années qu’on entend les cigales quelques jours dans l’année, ici à 750 mètres d’altitude. Il y en avait déjà au bord de l’Ebron. C’est loin d’être assourdissant mais on n’en entendait jamais avant. Elles montent en altitude. »

Les abeilles

« On a des abeilles et on voit aussi que cela a évolué. Comme on a des hivers plus doux, les abeilles démarrent plus tôt leurs activités. Dès le mois de février, elles font des larves et elles sont pratiquement prêtes à essaimer dès le 10 avril mais il faut faire attention. L’an dernier, au mois de mai, il a plu alors que la ruche était pleine de larves. Les abeilles ne pouvaient pas sortir pendant 10-15 jours. On les a sauvées mais elles ont failli mourir de faim et il y a eu beaucoup de pertes ailleurs. Les abeilles avaient un cycle vraiment calé sur l’hiver. Ici c’est problématique qu’elles démarrent plus tôt avec les possibles retours de froid et les semaines de pluie. Avant dans le Trièves, il y avait plus d’élevage et désormais de plus en plus de céréales et donc moins de fleurs et d’insectes. Quand on est arrivés, on avait 30 ruches parce qu’il y avait beaucoup de fleurs et maintenant c’est plus compliqué. »

Les papillons

« J’ai l’impression qu’il y a moins de papillons maintenant. Avant, il y en avait des centaines dans les champs. Aujourd’hui on en voit mais plutôt par dizaines. On a un bon indicateur, plutôt objectif. Les serres c’est un vrai piège à papillons. Dans notre serre de semis, il y en avait plein qui rentraient et qui n’arrivaient plus à sortir. Sur les jointures de la serre, on en voyait vraiment plein et maintenant on en trouve plutôt une dizaine ou une quinzaine. Ça fait aussi 3 ans que je n’ai pas vu le flambé, un grand et très joli papillon. On en voyait tous les ans. J’ai l’impression qu’il y a une diminution de la quantité mais aussi de la variété des papillons alors que nos voisins agriculteurs sont passés en bio. Avant, ils n’utilisaient pas non plus de l’insecticide à tout va sur leurs champs. C’est donc peut-être comme les abeilles : à cause du manque de fleurs. Il y a aussi une évolution des techniques de foins avec l’enrubannage qui permet de faucher plus tôt. Si une espèce ne trouve pas sa nourriture, petit à petit elle diminue. »

Les oiseaux

« Avant on entendait beaucoup les rapaces, les chouettes et maintenant c’est beaucoup plus rare. On voyait couramment 15-20 buses dans les champs en face et on n’en a pas revu depuis longtemps. Je trouve aussi que le chant des oiseaux à cinq heures du matin est moins intense et dure un peu moins longtemps. En termes de variétés, on voit toujours les mêmes mais il y a sûrement une diminution du nombre. On n’a pas non plus vu arriver de nouveaux oiseaux caractéristiques adaptés à des zones plus chaudes. »

Ressentis par rapport au changement climatique

« J’avais été plutôt angoissé quand il y avait eu des questions de pluies acides. Je passais mon temps à surveiller et heureusement ça avait été moins catastrophique que ce qui avait été annoncé. Le climat m’angoisse un peu moins même si c’est évident que la situation empire. On voit le voit déjà nettement en Inde. En Europe, on s’en sortira mieux qu’ailleurs. Cela touchera surtout les générations futures. A notre âge, cela ne nous concernera pas trop. J’ai l’impression que tant qu’on ne sera pas au pied du mur et que ce n’est pas catastrophique, personne ne fera rien. Tout le monde minimise les conséquences. Les gens ne percutent pas car ils ne savent pas réellement ce que cela peut produire. S’il y a des cultures qu’on ne peut plus faire pousser à certains endroits ou si elles sont détruites par des catastrophes naturelles, ce ne sera pas seulement une question de confort de vie mais de survie et d’alimentation. Il y a un tel décalage entre le vivant, son fonctionnement, les saisons et notre quotidien que les gens ne font plus le lien entre les deux et achètent tout n’importe quand : des courgettes au mois de janvier par exemple. Je pense que des efforts seront faits mais que ce ne sera pas suffisant. Cela ne doit pas nous empêcher pas de faire tout ce qu’on peut. Dans le Trièves, on ne s’en rend pas forcément compte mais on est privilégiés. »

Rencontré en juillet 2022

Jérémy Bricka habite le Trièves depuis 2011. Il s’est tout d’abord installé pour fonder le domaine des Hautes Glaces, puis en 2015, il a profité de la volonté de la commune de Roissard de replanter des vignes sur les coteaux de Brion et a créé sa cave à Mens en parallèle.


Cette année, on remarque particulièrement les évolutions liées au changement climatique comme le manque d’eau. Il faudrait installer un système d’irrigation mais c’est compliqué sur les côteaux. L’accès à l’eau de l’Ebron est aussi difficile. Avec la sécheresse, les vignes sont bloquées, elles végètent donc l’avance qu’on peut avoir avec la chaleur peut finalement se transformer en retard pour les vendanges. Je pense que j’ai déjà perdu une partie de la production. C’est d’autant plus compliqué parce que ce sont des jeunes vignes qui ne sont pas encore totalement installées. Cette année, c’est exceptionnel mais on a déjà connu des problèmes de sécheresse et de végétation des vignes en 2020 par exemple. Je me suis adapté en choisissant des porte-greffes résistants à la sécheresse pour un tiers de la surface du domaine. J’ai aussi reculé la période de taille des vignes à cause des gels tardifs. J’aimerais utiliser du paillage naturel fait à partir d’engrais naturels. Je ne l’avais pas encore fait car ce n’est pas l’idéal pour des jeunes vignes car cela développe une concurrence. Je n’avais pas non plus la machine adaptée pour rouler le paillage. Je suis équipé depuis cette année. Pour m’adapter et éviter de souffrir des conséquences du changement climatique j’ai aussi diversifié mon activité notamment avec la distillation. 

S’il y a des années comme ça tous les ans ça va être compliqué mais je suis assez confiant car je pense que c’est exceptionnel. Même s’il y a déjà eu des canicules et qu’il y en aura d’autres, si on regarde 30km au Nord ou au Sud, il y a eu beaucoup plus d’eau qu’ici. On a eu de la malchance. Les orages ne sont pas tombés par chez nous.

Rencontré le 07/07/2022

Dans le Trièves depuis 1980, Gérard Leras est ancien éleveur fromager et ancien vice-président à la région. Aujourd’hui il vit à Mens et est membre de l’association Trièves Transition Ecologie. Il a 76 ans.


« Je suis arrivé dans le Trièves pour mener une action pilote sur le plan foncier en lien avec l’agriculture. Dans ce comité de pilotage, il y avait des agriculteurs locaux, la Chambre d’Agriculture et d’autres organisations. Il y avait besoin de quelqu’un pour animer tout ça et c’est moi qui ai été choisi et je suis arrivé dans le Trièves comme ça. Après ça je me suis installé comme agriculteur, en 1985 à Saint Paul les Monestier et j’ai fait 18 ans d’éleveur fromager. Ensuite, je me suis retrouvé conseiller régional et pendant le deuxième mandat j’étais vice-président à la politique foncière. Aujourd’hui je suis retraité et je milite dans TTE [Trièves Transition Ecologie]. »

La chaleur et la sécheresse

« Les évolutions climatiques les plus fortes que j’ai observées c’est notamment la violence des évènements. Ce qui se passe est de plus en plus marqué et violent. Ce que je sens le plus c’est la sécheresse et la canicule l’été. En 2003, quand il y a eu de la sécheresse et la canicule en même temps, et ce un peu partout, j’ai été amené à aller dans le nord de l’Isère et c’était impressionnant. On voyait des vaches qui n’avaient absolument rien à bouffer. Dès début juin les terres étaient complétement brûlées et dans le Trièves c’était moins marqué peut être grâce à l’altitude, peut-être parce qu’on était protégés par les montagnes mais maintenant on le ressent de plus en plus et on le voit même chez nous, cette année particulièrement. On sent qu’on peut avoir une sécheresse et une canicule terrible. Les chaleurs ont démarré très tôt, il a plu extrêmement peu. » 

« L’élévation des températures qu’il y a partout, en France, sur les Alpes, je trouve qu’on la sent particulièrement ici. On se retrouve dans des situations qu’on n’avait pas avant. Pour mon BTS, j’avais fait un mémoire sur l’alpage du Sinépy alors que je n’étais pas encore en Trièves, j’étais en Oisans, et au niveau des moyennes de températures et des précipitations, le Trièves ne se distinguait pas particulièrement. C’était une zone qui délimitait un peu les Alpes du Nord et du Sud. Aujourd’hui j’ai l’impression que le col du Fau marque un peu cette délimitation entre Alpes du Nord et Alpes du Sud. Je crois que les conséquences du changement climatique ne sont pas exactement les mêmes dans le Nord et le Sud Trièves. »

« Quand j’étais agriculteur [de 1985 à 2003], je n’ai pas eu l’impression d’être touché par les conséquences du changement climatique. Je me souviens avoir eu très froid en hiver, d’avoir les tuyaux gelés… Ce dont je suis sûr c’est que des chaleurs aussi suffocantes qu’on a dernièrement, je n’ai pas le souvenir que j’en avais souffert l’été à cette époque-là. »

La neige

« Une autre chose que j’ai remarqué, c’est que par rapport à ce que j’ai connu, on a plus des chutes de neige aussi fortes. Quand il neige, il y en a moins. Les chutes de neige de 20-25cm c’était assez fréquent. J’ai le sentiment qu’elles arrivent de moins en moins. Pour la période d’enneigement, je ne suis pas sûr que ça ait beaucoup changé. Il n’y a pas si longtemps on a eu de la neige dès le 31 octobre et pendant la foire du 1er mai. »

Sensibilité écologique et perception du changement climatique

« Pour moi, l’écologie ce n’est pas une discipline cloisonnée, c’est une éthique générale de responsabilité. L’écologie est obligatoirement globale. Il y a plein de portes d’entrées. Tu peux en arriver à l’écologie après une prise de conscience sociale, environnementale ou internationale. Ma prise de conscience s’est faite bien avant que je n’arrive dans le Trièves, quand j’étais ado. Très tôt je me suis passionné des questions Nord/Sud et de ce qu’on appelait le tiers monde ou même parfois la « zone des tempêtes » et je suis rentré dans l’écologie par là. J’avais 18-19 ans. Plus tard, j’ai adhéré aux Verts le jour où j’ai eu le sentiment qu’ils portaient cette éthique globale de responsabilité, en particulier en retombant sur les questions de rapports Nord/Sud. J’ai adhéré 8 ans après la création parce que les Verts avaient pris une position pour la Kanaky et contre le joug colonial sur la Nouvelle Calédonie et contre l’intervention en Irak. Mon fils s’est aussi retrouvé très tôt dans des élections cantonales et j’ai apprécié la manière dont ils ont ouvert les portes et fait confiance à un jeune ce qui était assez rare à cette époque-là. Ça c’est la manière dont je suis rentré en politique. C’est différent de ma prise de conscience écologique. »

« Le problème du changement climatique est pour moi politique et mes émotions personnelles là-dedans me paraissent très secondaires. Mais il y a des choses qui me mettent très en colère comme la passivité des états, des politiques publiques y compris de la France, certains refus de prendre ses responsabilités. Il est irresponsable que l’état ne fasse pas le quart du tiers de ce qui avait été décidé à la Cop21. »

« Pour moi, globalement, tant que la recherche de profit restera le moteur principal de l’économie, à toutes échelles, des multinationales à toi et moi dans notre vie de tous les jours, on tournera le dos à ce qui est nécessaire et on ira de mal en pis jusqu’à l’explosion. Je n’utilise pas le terme d’effondrement parce qu’il va avec désespérance et je refuse qu’il n’y ait pas d’issue. La crise globale dans laquelle nous nous trouvons déjà ne peut que s’accélérer. Dans le Trièves, les questions pour lesquelles je me sens particulièrement concerné et qui me mobilisent ce sont des questions d’aménagement du territoire, les problématiques agricoles, les problématiques environnementales liées à l’agriculture, les questions de transports surtout ici. Se passer de la ligne de train ou accepter qu’elle crève c’est pour moi insupportable. »

« Personnellement, je ne fais pas assez d’efforts. Il n’y a pas de super-héros. Ceux qui se prennent pour des super-héros et donnent des leçons en permanence me fatiguent. J’ai mes habitudes y compris mes mauvaises habitudes, mes conforts. Je me fais souvent engueuler par ma nana parce que je me sers mal du robinet et que je gaspille de l’eau. J’ai eu quelques problèmes pour marcher et ça me sert de prétexte pour prendre un peu trop ma voiture. Quand je suis devenu agriculteur en 1985, j’avais la tête dans le guidon et les premières années je n’ai pas forcément fait attention aux intrants et à ce que je donnais à mes vaches en plus du foin. Ce sont des choses que j’ai arrêtées très très vite. Je ne suis pas passé au bio pour plusieurs raisons, mais vers la fin, sur mon exploitation j’étais dans les conditions du bio. J’aurais pu demander mon label. Ce qui ne va pas aussi c’est que j’aime beaucoup trop manger, j’aime la viande. Je réduis mais ça ne va pas assez vite. »

© 2024 Communauté de Communes du Trièves | Réalisation GELAUFF.COM